Requiem for a Dream .

Il fait nuit. Mais je suis toujours debout. Je n’aime pas dormir la nuit. Je n’aime pas dormir tout court. C’est une perte de temps inutile, futile et stérile. Même si ça redonne de la force, et remet à cent pourcent nos batteries, je me sens vulnérable. Les fantômes du passé viennent hurler à mes oreilles, et m’empêchent de laisser ce souvenir au passé, justement. Ils tournent le couteau dans la plaie, tirent sur les bords de la blessure encore ouverte, infectée de pensées tournées vers Frère. Je m’ébrouai, chassant le frisson qui remontait lentement le long de mon échine. J’étais au milieu du Camp du Clan de l’Effervescence depuis de longues minutes déjà. J’avais regardé le crépuscule : le soleil s’en allait pour laisser sa douce lune dans le ciel étoilé. Aucun de mes ancêtres n’était là-haut. Pourquoi croirai-je au Clan des Etoiles ? M’avait-il seulement, une fois, rien qu’une fois, prouvé qu’il était là, qu’il guidait mes pas, et qu’il me faisait confiance ? Non. Niet. Un fiasco total. C’était certainement un conte pour les gamins, pour endormir leurs peurs. Le Destin. Existait-il vraiment ? Ce n’était peut-être pas réfléchi, mais je ne croyais qu’en ce que je voyais.
Un chaton sortit doucement de la Pouponnière, espérant passer outre la garde sa mère et ses compagnes. Je tournai mon regard bicolore vers le chaton. Je reconnus immédiatement Petit Grain, chaton aventurier qui ne reculait devant rien pour sortir. Lorsqu’il croisa me regard, il soupira, et rentra sans un mot dans sa tanière. Mon autorité n’était pas encore établie, mais les chétifs et les arpètes avaient rapidement compris ce qu’il en coûtait de me désobéir. Ne restait plus que les Adjuvants, les Gravides et les Cerbères à convaincre. Lourde tache, me direz-vous. Certainement, mais je n’étais pas du genre à tout plaquer parce que c’est trop dur. J’avais confiance –hm hm- en moi, et rien ne m’empêcherai de faire régner un climat de paix dans mon Clan. Je m’approchai de ma tanière, et passai la tête par l’entrée, cherchant du regard une des deux personnes qui comptaient le plus pour moi. Appel des Catacombes, mon amant, dormait paisiblement, et je n’avais pas du tout l’envie de le déranger. Je remarquai – sans toutefois être surprise – qu’une personne manquait à l’appel. Démon Noir n’était pas rentrée ce soir.

- Tu cherches quelque chose ? demanda Ciel de Décembre, encore ensommeillée.
- Non non, rendors toi… chuchotai-je.

Elle ne se fit pas prier. Malgré nos différences, Ciel de Décembre avait été comme une tante qui veillait discrètement sur moi. Je ne l’affectionnais pas particulièrement, mais elle me rappelait souvent les bons moments que j’avais passés avec mon frère. Son ancien apprenti, Nuage de Mélodie, était mort. Elle venait de reprendre sa sœur, Nuage Musical. Dommage, Nuage de Mélodie avait été une bonne apprentie, je m’en souvenais. Mais je n’avais rien ressentis pour sa disparition. Rien. Cela m’avait d’abord bouleversée ( de ne rien sentir ) et puis c’était passé. Ciel de Décembre grogna dans son sommeil, ce qui me tira de mes pensées. Je me mis rapidement en route pour retrouver mon amie, ma sœur, celle qui me comprenait mieux que quiconque. Pas besoin de paroles, je la connaissais presque sur le bout des griffes. Je sortis donc du Campement, suivant sa trace. Bien qu’il y ait l’odeur de tous les chats, j’aurai reconnue la sienne entre toutes. Je me demandais encore comment une amitié aussi bizarre avait pu se créer entre nous. Elle avait souvent des réactions étonnantes, et parlait aussi toute seule. Mais c’était ces petites différences qui faisaient que je l’appréciais comme elle était. J’étais sûre de ne pas la choquer, au moins. J’hésitais à lui parler de cette puissance que le sang exerçait sur moi, mais cela faisait de nombreux jours que tuer un animal ne me faisait plus plaisir. J’avais été ébranlée par cette nouvelle découverte, quelques lunes plus tôt. Lorsque mes crocs transperçaient la chair de l’animal, lorsque le sang giclait sur mes dents, lorsque l’arôme de la mort et de la peur, ne serai-ce qu’une seconde, flottait dans l’air… tout cela m’avait réjouie, à un point inimaginable. J’avais essayé de me contrôler. Mais lapins, colombes, pies, campagnols, rats, corbeaux, j’étais même allée jusqu’à essayer de pêcher un poisson… La chasse de tous les animaux sur ces terres m’était enivrante. J’adorais. Non, cela devenait presque une dépendance. Mais comment en parler à quelqu’un qui ressentait ça tout le temps ? Comment demander à Démon Noir d’arrêter ce sentiment, alors qu’il la dévorait déjà depuis encore plus de lunes que moi ? Elle aimait le sang. Et je commençais à la suivre. Alors que je ne voulais pas. Je voulais être pacifiste, comme tous les autres chats, et ne pas voir en chaque personne un bout de steak potentiellement agréable à tuer. Perdue dans mes pensées, je n’avais pas vu que j’étais bientôt arrivée. La trace de ma Démone était de plus en plus précise et je pouvais sans problème retracer le chemin qu’elle avait parcourut. Il y avait des poils, par là. Elle avait mangé. Je suivis la petite trace de sang, et tombai sur le corps endormi de l’adjuvante. Amusée, je m’approchai à petit pas de la femelle, et m’allongeai près d’elle. Je posais mon museau tricolore sur mes petites pattes, et la regardai dormir. Si toutefois elle dormait. Je posai mon regard bicolore sur son corps immaculé, si différent de sa manière de penser. L’odeur du sang émoustilla mes sens, et je sentis mon ventre se tordre. Il voulait presque que j’aille lécher le sol, là où l’oiseau avait poussé son dernier soupir. Je maîtrisai encore le démon qui grandissait petit à petit en moi, mais pour combien de temps encore ? Démon Noir verrait-elle la souffrance sur mes traits pourtant impassibles ? Connaissait-elle cet appel ? L’appel du sang, de la mort, de la sauvagerie ? Peut-être était-ce ça qui la guidait, depuis tout ce temps ? Je fermai les yeux.
Lorsque je les rouvris, je vis les prunelles noires de ma démone posées sur moi. Pour la première fois de ma vie, je me sentais presque en osmose avec la bestialité qui brillait dans ses yeux.

« - Je t'ai retrouvée, soufflai-je. »

• J'entends. Je sens. Je ressens. Une présence. Quelqu'un. Je sais qui c'est. Je reconnaît ton odeur. Ma petite protégée ... Oui, celle qui deviendra comme moi. Celle en qui je place tout. Tu approches. Tu tourne autour du chasseur. Tu tourne autour du tueur. Mais un de ces jours, tu sera à ma place. Ce sera toi la chasseuse. La tueuse. Mais pour l'instant, je dois te former. Assurer la succession. Quand j'ouvre les yeux, les tiens sont fermés. Même à mon réveil, je sens la haine monter. La rage. Le sang ... Tes paupières se rouvrent. L'atmosphère. L'air. Le lieu. Les regards. Nos mentalités. Oui, nous sommes sur la même longueur d'ondes. Les mêmes. Aux âmes pourries. Aux esprits tordus. Toi, tu est plus saine que moi. Tu peux encore être sauvée. Mais avant que quiconque se mette en travers de mon chemin, je vais te pervertir l'esprit. Pour que le Malin prenne ton coeur. Et qu'il le vole. Pour le cacher dans son Antre. Le bouffer. L'anéantir. Le détruire. Ensuite, le Duable prendra ton âme. En fait, ça sera toi qui la lui donnera. Je vais t'enseigner. Les choses essentielles. Mais tu l'as en toi. La haine de vivre. L'appel du Sang ... Tu est comme moi : une élue.
  Je me relève. Je me redresse. La scène de crime. Un crime que j'ai commis. Et ça me fait rire. Ca me fait sourire. De tuer. De faire souffrir. De haïr. De détester. De massacrer ... Je me nourrit de la douleur. Celle des autre apaise la mienne. C'est comme ça qu'est la vie : cruelle. J'incarne la vie. J'incarne aussi la Mort. Car la Mort n'est que la suite de la vie. Elle en est la succession. Encore plus cruelle. Encore plus dure. Alros apprenez à vivre dans le désespoir, pauvres fous. Car une fois dans l'autre monde, vous verrez à quel point la vie est belle comparé à la Mort. Mais ça, il faut le savoir. C'est ce que j'ai prévu de t'apprendre, Substance Illicite. Ce qu'est la vie. Ce qu'est la Mort. Comment vivre. Comment tuer. Comment SURVIVRE... Je marche vers toi. Lentement. Doucement. Comme je le fait pour mes victimes. Mon regard est empli de haine. Non, je n'ai rien contre toi. Mais c'est mon regard habituel. Je m'assied devant toi. Puis mes pupillent reflettent tout à coup une expression. Une expression qui signifie que j'en ai rien à fouttre du Monde. Des autres. De tout. Celle là aussi, c'est une expression normale. C'est l'expression qui apparaît sur mon visage involontairement quand je me trouve en face de quelqu'un. Je ne fais pas exprès. Je ne fais JAMAIS exprès. D'être moi-même. D'être ce que je suis. Une des servantes du Sang. Je plante mes deux trous noirs dans tes pupilles. Regarde. Observe. Et commence déjà à apprendre. Parce que bientôt, ces yeux seront tiens. Et tu ne sera plus aveugle. Aveugle à la Vérité. Aveugle aux complots. Aveugle à tout ce qui se passe autour. Tu verras enfin. Je serais ta lumière, ton chemin, la guide. Pour une fois, quelqu'un suivra ma route. Celle que j'ai tracée, de mes propres griffes. Celle que j'ai façonnée, de mes propres crocs. Oui, une fois dans le bon sillage, nous détruirons le monde ... Nous l'anéantirons ...
  
  Je t'ai retrouvée
  
  Un sourire. Minuscule. Non, je ne me suis pas trompée. J'ai eu raison de tout placer en toi. Car tu est la seule qui pourras tout supporter ...
  
  Eh bien cherche encore ...
  
  Et je pars. Je cours. Je vole. Je fuis. Je ris. Je JOUE ... Traque-moi. Je te teste. Retrouve-moi. Grâce au Sang. Grâce à ton atout. Il est temps que tu apprennes à t'en servir ... Je me cache. Je ne bouge plus. Demande au Maître. Demande-lui où je suis. Moi, sa plus fidèle Servante. Questionne-le. N'aie pas peur. Car lui aussi, il doit te guider dans ta lumière. T'entraîner au plus profond. C'est la clé de tout succès ... Alors essaie d'ouvrir la porte, en commençant par ce simple exercice. Le fait de me retrouver ...